Sur le chemin de la Kora

J’aurais pu l’inscrire dans ma rubrique musicale, mais entre elle et moi , ce fut vraiment … »une rencontre
des plus surnaturelles
 »  !
 
C’est en revenant du travail, avant hier, que j’entendis sur une radio les sons de cette  
« harpe-luth « d’Afrique de l’Ouest et, aussitôt …
 sa musique m’a donné l’envie de voyager, marcher, écrire et aimer encore davantage !
 
 Sans plus tarder, je vous invite à écouter un morceau du CD dont je fis l’acquisition dans la soirée même
 
                   Extrait
de 
 
 
Tous ses morceaux de musique me « subjuguent », et, plus particulièrement celui-ci :
                                       
Atlanta Kaira
Et ces notes, ces sons d’une irréelle pureté m’ont conduite vers un univers et des histoires à l’image de cette
légèreté divine, à fleur de rêve …
 A commencer par celle, très attachante, du Révérend Père Philippe CHAMPETIER  de Ribes
 

F. Dominique et Abba Philippe (à gauche)

Quelques jours avant Noël (le 23 décembre 2006), le Révérend Père Philippe CHAMPETIER de RIBES, fondateur et premier Abbé de l’Abbaye bénédictine de KEUR MOUSSA
(Sénégal) est retourné à la maison du Père après 45 ans de présence en Afrique.  Ce dernier entra à l’Abbaye de Solesmes en 1943, un des lieux les plus importants du chant grégorien dans
la Sarthe, et fut ordonné prêtre en 1950. Rapidement appelé à exercer de lourdes responsabilités, il fut nommé Prieur à 33 ans.

En 1961, à la demande de l’évêque de Dakar, la Congrégation de Solesmes décida de fonder un monastère à proximité du village de KEUR MOUSSA situé à 50 Km de
Dakar. Philippe fut envoyé sur place à la tête d’une équipe de 9 moines : ils débarquèrent en plein pays musulman, sur une savane quasi désertique de 20 hectares, quelques arbres et des
buissons sur un terrain qu’il fallut aménager : route et ligne électrique à construire, puits à forer, bâtiments à édifier. En deux ans, aidée par de la main d’oeuvre locale, la petite équipe
édifia le monastère et les moines purent se consacrer de nouveau à la vie contemplative tout en travaillant dans leur verger et leur potager.

 Ils complétèrent leurs constructions en 1966 par un dispensaire et une école ; rapidement débordés par l’affluence des malades, ils confièrent la gestion du
dispensaire aux Soeurs Servantes des Pauvres d’Angers.

 Petit à petit ils s’imprégnèrent de la culture locale, recrutèrent des novices, apprirent la langue Wolof, adaptèrent leurs chants à la musique et aux
rythmes africains. Mettant en pratique les directives du Concile Vatican II, ils réussirent parfaitement « l’inculturation » de la musique sacrée. Sous l’impulsion du frère Dominique CATTA, la
musique de Keur-Moussa devint une référence ; il transforma la Kora, harpe africaine utilisée par les griots, en véritables instruments. Les percussions de toutes sortes, balafon, tamtam,
calebasse, djembé, rythmèrent psaumes et cantiques : les maîtres du grégorien avaient réussi à faire évoluer la musique sacrée vers une musique adaptée à une autre culture.

En 1984, le monastère fut érigé en Abbaye et Philippe fut élu premier Abbé, charge qu’il abandonna en 2000 pour devenir Abba (Père) Philippe ; la relève était
assurée : le frère Ange-Marie NIOUKY fut élu deuxième Abbé. En 2003, pour le quarantième anniversaire de la fondation, on dénombre 25 moines profès dont 13 profès solennels et 5 prêtres, tous
africains. En 2004, quatre moines sont partis de Keur-Moussa pour fonder un nouveau monastère de Saint Joseph de Séguéya en République de Guinée Conakry, belle illustration de la devise du
monastère KEUR-MOUSSA, tirée du prophète Isaïe « Et le désert fleurira ».

Son frère, François CHAMPETIER de RIBES

 

L’Abbaye aujourd’hui : « Oasis de prière et de travail »

 

 A quelques 50 km de Dakar, au milieu de l’aride savane sénégalaise, les voyageurs tombent sur un tapis vert
arraché au désert par un dur labeur. C’est ici que se trouve le Monastère bénédictin de Keur Moussa, placé à quelques centaines de mètres d’un petit village peul d’où il tire son nom. C’est une
des 1ères fondations de vie monastique établies dans le continent africain. Le silence presque sacré de la zone n’est interrompu que par le son des cloches de la tour du monastère ou par
l’invitation à la prière lancée aux quatre coins du haut du minaret de la mosquée, centre de culte des villageois, en majorité musulmans.

Bien qu’un mur entoure les 20 ha du monastère, le portail d’entrée est
toujours ouvert
; un détail qui donne l’impression qu’on s’approche d’un lieu de recueillement plutôt que d’un endroit isolé .
Les moines y sont toujours heureux d’y montrer leurs champs de bananes, d’ananas, de papayes, mangues, oranges,
mandarines et pamplemousses.
Mais ils ne se limitent pas à soigner ce verger, il font en silence beaucoup d’autres activités : certains préparent
le lait de chèvre acheté aux pasteurs des environs, d’autres travaillent dans les ateliers de mécanique, menuiserie et peinture.
 Mais, le joyau de ces lieux est « la fabrication de Kora
« 
Frère Dominique , arrivé au Sénégal avec les 9 premiers moines envoyés par le monastère bénédictin de Solesmes, pour
fonder le monastère en 1962, a consacré une bonne partie de sa vie à l’étude et à l’amélioration de cet instrument traditionnel de la région.
Petit à petit , il est parvenu à fabriquer des koras d’une grande beauté et qualité.
 
A 10h45 sonne la cloche et toute activité s’arrête !
Les fidèles remplissent l’église et participent avec une grande dévotion à la liturgie solennelle et rythmée par la
Kora, le balafon et le tam-tam qui accompagnent les chants des moines …
 
Leur présence semble riche de sens au milieu d’une population en majorité musulmane et qui donne beaucoup
d’importance à la prière. Keur Moussa est un point de référence et une source de spiritualité pour l’église sénégalaise. A leur travail silencieux s’ajoute  la solidarité en …rayon de
lumière, bon nombre d’habitants gagnant leur vie en travaillant avec ces religieux.
Mgr Jacques Sarr, Evêque de Thiès, diocèse où se trouve le monastère, a écrit (j’ajouterai personnellement … »cette
phrase merveilleuse ») :
« Pour les prêtres, religieux et religieuses, laïcs et pour tous ceux qui cherchent Dieu, le monastère est un centre
lumineux d’où resplendit, sans d’autres campagnes publicitaires, l’absolu de Dieu, cherché, servi et …chanté « 
 
      A la lecture de ce récit, dans lequel j’ai été
introduite par un … « portail d’entrée resté ouvert « , je me dis qu’il doit y régner une atmosphère bien particulière de paix, d’amour et de tolérance !
 
 
« Les confidences de Frère Dominique Catta et Frère Luc Bayle (1991)
 

 

Le Père Catta jouant avec 3 Koras

Le père Dominique Catta jouant sur 3 Koras

( En déc 76, pour honorer le Président Senghor qui fêtait ses 70 ans, la communauté voulut lui offrir une Kora.
C’est à cette occasion que fut mis au point un support, qui révolutionna l’usage de la Kora au monastère : la Kora était portée par son socle, l’accompagnement devenant beaucoup moins fatigant et
permettant d’avoir devant soi 2 ou 3 koras accordées différemment, permettant ainsi de passer d’un registre majeur à un registre mineur …)

Mais, bien avant d’en arriver là ….les débuts furent « historiquement durs » !!!

Revenons au démarrage de la carrière pour le moins inattendue de cette harpe africaine au sein de Keur Moussa
(selon le récit « émouvant » de ces Frères !)
1964
 » Un jour, un ami, chercheur à l’Institut Francophone d’Afrique Noire (IFAN) nous fit le cadeau d’une Kora. Nous la
trouvions superbe, avec ses 21 cordes en nylon (déjà un « progrès » sur les cordes fragiles faites de fibres d’écorce de baobab). Des anneaux en cuir serrés autour d’un bâton retenant les cordes
passant par un chevalet de 
 bois et se fixant au bas d’une demi-calebasse recouverte d’une peau de vache.
La Kora resta plusieurs mois dans la salle de la communauté, attendant le maître qui saurait la faire parler car,
pour le moment, aucun son ne sortait de ses cordes détendues…
 
Jusqu’ici la Kora appartenait à l’espace resserré des griots (sages) mandingues, seuls détenteurs de ses secrets de
fabrication et de son jeu.
Un abbé sénégalais, à qui je confiais ma perplexité devant l’utilisation possible de la Kora pour la prière, me mit
en relation avec 2 griots mandingues de passage dans la région. Ils acceptèrent , pour un bon prix, de venir passer quelques week ends au monastère pour y faire parler notre Kora
muette.
Après de longues heures où les 21 cordes s’ajustèrent à la bonne place, moyennant salive, jus de citron et astuces
géniales et expertes de nos 2 amis, la Kora se mit à chanter, remplissant nos cloîtres de mélopées tout à fait nouvelles pour nos oreilles rôdées au « pur grégorien de Solesmes ».
C’était beau mais comment déceler à travers ce flot de notes celles susceptibles de soutenir notre prière chantée
!
On remarquait toutefois, des harmonies proches des vieux modes grégoriens.
A la fin d’un office, nous tentâmes alors une expérience quelque peu audacieuse ! Les moines furent priés de rester
dans les stalles. Nos 2 griots furent invités à jouer un air qui me paraissait proche d’un ton psalmodique grégorien. J’ai entonné bravement « le Dixit Do Minus » des vêpres du dimanche et …la
communauté poursuivit !
L’enregistrement de cette étonnante « 1ère » conserve, pour la postérité, la véritable découverte réalisée par la
fusion de 2 cultures, jusqu’alors si imperméables l’une à l’autre. En fait, nous avions l’impression que les Koras mandingues soutenaient notre prière et
que notre chant relevait encore la beauté mélodique des Koras ! « 
 
 …beau, beau, vraiment magnifique cette histoire, on continue
?
 
« …Nos 2 griots repartis, d’autres mandingues passèrent quelques heures à Keur Moussa pour nous aider. Parmi les
plus célèbres, « Fodé DRAME », historien de son ethnie, et qui comprenait cette sorte d’élévation culturelle et spirituelle à laquelle nous collaborions
tous.
Les débuts furent extrêmement pénibles et, 6 mois après le départ des 1ers griots, nous arrivions péniblement à
pincer quelques cordes …
Le 1er disque de Keur Moussa naquit cependant en 1967.
 
Quant aux 1ères Koras produites par l’Atelier, on achetait à un griot de Dakar des calebasses toutes prêtes
(c.a.d couvertes de peau avec traverse et antennes). Ce ne pouvait être que provisoire et, très vite, on mit au point une méthode pour le traitement des peaux et leur montage sur
calebasse.
Mais, là encore, lorsqu’on comparait une Kora traditionnelle et une Kora de Keur Moussa, une chose frappait l’oeil
avisé : « les peaux étaient mieux tendues sur les Koras traditionnelles », il restait moins de plis. Mais …comment faites-vous ? demandait le frère Dominique à un célèbre griot de Dakar. Réponse
: « Secret de griot » ! C’était en août 84.
Quinze jours plus tard, un jeune griot de Guinée Bissau voulut acheter au monastère divers éléments pour se faire
une Kora. Ne pouvant payer, il proposa de travailler. Justement, lui avons-nous répondu, nous avons une peau à monter. Et, c’est ainsi que ce jeune mandingue nous révéla comment faisaient les
griots. Méthode plus longue (près de 2h au lieu d’1h) mais résultat bien meilleur !
 
Pendant longtemps, la partie menuiserie (hampes, chevalets, antennes, traverses, sillets et socles) a été réalisée
par une entreprise de Dakar. Il apparut vite qu’il était nécessaire de fabriquer soit même ces pièces. Là encore …plusieurs années de tâtonnements s’ajoutèrent !
Sept années durant, les Koras traditionnelles furent également maintenues accordées en dépit de multiples
difficultés : accord de 21 cordes par les noeuds de cuir demandant de longues longues heures de patience ! Jusqu’à ce que le Père Michel MEUGNIOT remplaça les anneaux de cuir par des clés de
violon ….En 71, ses travaux scientifiques aboutirent à un prototype baptisé KMO et qui est l’ancêtre de nos 700 Koras fabriquées depuis.
Plus tard, (après 1982), le frère Luc BAYLE, lui même Koraïste, porta un regard neuf. Pour la clé de violon
(cheville cônique), c’est l’adhérence de 2 surfaces de bois qui assure la tenue. Le bois est très sensible aux variations hygrométriques. Si l’atmosphère est humide et que survient le
vent d’Est, très sec, le bois se contracte et l’adhérence ne se fait plus, la clé lâche et la corde se défait, entraînant peu à peu les autres. De là, naquit alors l’idée de remplacer ces clés
côniques par des mécaniques de guitare !
Depuis lors, l’atelier fabrique des Koras à mécanique de guitare, mais également des Koras à clés en bois pour ceux
(ils sont assez rares) qui le souhaitent. »
 
Depuis aussi, Keur Moussa est un véritable atelier de lutherie, l’essentiel de la Kora traditionnelle a été
conservé, et les griots mandingues n’hésitent pas à interpréter leur répertoire sur ces Koras sorties de l’Atelier des moines.
(Fin de … cet incroyable voyage !) 
Réellement fascinant, non ?
 
LA KORA ….Chant de l’âme, instrument de prière !
( Encore ….un peu de récit !) 
 
 
 Joueur de Kora
 
 « …Un missionnaire de Guinée-Bissau nous
racontait qu’il avait montré une de nos Koras à un vieux griot mandingue. Celui-ci, d’abord surpris, se mit à jouer sur cette Kora les airs de son répertoire. Alors, des larmes coulèrent
silencieusement de ses yeux, comme pour exprimer son regret de n’avoir pas connu plus tôt la Kora de Keur Moussa.
 
Peut-être pensait-il alors que le Génie de la Kora venait de recevoir un nouveau souffle ?
Pour nous, ce souffle est l’Esprit-Saint qui a permis à la Kora guerrière et parfois violente de …chanter les
merveilles de Dieu… »
 
Et, en vous, que chante-t-il ? 
 
Moi …cet instrument me mène aux pures essences de la paix …
 
Je n’ai pu trouver sur plateforme musicale le moindre chant provenant de Keur Moussa,
il ne reste plus qu’à espérer pouvoir nous y rendre un jour !
 
En attendant , et à condition de continuer à vous laisser imprégnés de l’univers et de
l’histoire de l’Abbaye, vos sensations de sérénité demeureront des plus exquises en écoutant ces quelques morceaux de Toumani qui, lui, a eu la chance de pouvoir approcher et vivre ce lieu
 
 
                                    Kanou               
Bi Lambam          Kita Kaira 
 
 Et, les jours de doute …
         puisons dans ce parcours éblouissant qui lia, et liera
encore éternellement, l’âme de ces moines à celle de cet instrument …la foi, la patience et la force nécessaires à toucher la lumière !

 

6 réflexions sur « Sur le chemin de la Kora »

  1. EvaJoe Des mots – 5 Fév. Quelle paix , quel sérénité émanent de ces mots dont tu viens de nous partager, et accompagné de cette musique je me suis laissée envahir par ce calme, même si parfois mes
    yeux se fermaient je sais que je n’ai rien manqué de cette musique magnifique. Quand au texte je l’ai lu en entier. Merci Sabine de nous faire partager de telles découvertes.

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  2. pèlerins fous – 6 Fév. Merci à toi, Joëlle, d’avoir cheminé jusqu’au bout sur ce parcours « hors norme » en comprenant qu’il était à lire jusqu’au dernier mot ! Certes, la route est longue et demande
    au lecteur de s’enfermer pour un temps dans un univers fait de patience, silence, et profonde méditation… »sentiments clés » qui ont certainement mené nos moines de Keur Moussa vers ce sublime
    partage !!!

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  3. Nicole crouzillac – 11 Fév. quelle belle musique !
    merci de nous faire partager tes découvertes.
    le calme et la paix envahissent notre esprit en écoutant ces harmonies.
    Dans le calme je me suis laissée emporter vers d’autres lieux, d’autres musiques (après) sont revenues à ma mémoire.
    Quand à l’histoire de la kora : elle est merveilleuse. Comme quoi les instruments transmettent mieux que bien des
    paroles nos pensées.

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  4. pèlerins fous – 12 Fév. Je savais que cet article te parlerait ! Et, de plus, je suis très heureuse qu’il t’ait permis de te replonger dans les bras d’un univers qui t’est également très cher
    … »la musique » !!! Car, à force de penser à toi en tant que peintre, j’en avais oublié cette autre passion… Ah, magie de l’Art quand tu nous tiens…….

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  5. Philippe P – 12 Fév. Une belle histoire sur la Kora et très technique en plus, on en apprend beaucoup sur des instrument de musique qu’on entend très peu, j’ai écouter l’album, il est vraiment bon,
    surtout les morceaux de blues…

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  6. pèlerins fous – 13 Fév. Ma petite analyse technique est pourtant bien sommaire, je n’ai justement pas voulu trop entrer dans la précision « vétilleuse » de cet instrument ; le message réel étant plus
    de faire vivre et connaître cet incroyable parcours fait d’amour, de patience et de foi dans un unique but de partage.

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