Le hérisson et la tortue

 

Pour la première fois,  je vous offre ma voix entrain de lire un conte que j’ai composé « le hérisson et la tortue » 

Cet enregistrement étant donc une « toute première naissance » ,  je vous avoue avoir le coeur battant un peu la chamade !

 

 

ECOUTER (en prenant soin d’éteindre le lecteur du blog, sur la colonne de droite, juste
dessous ma liste d’amis)

 

 
 

 

 Le hérisson et la tortue

 

Dans la folle vapeur des vagues, au petit jour, Mao
marche sur la plage, la sculptant de ses pieds nus.

Un enfant s’amuse avec un cerf-volant en papier journal …

Sur toute la largeur de ses épaules, Mao porte un sac en raphia qu’il maintient de ses mains par les deux
bouts ; ce fardeau semble lourd, faisant basculer sa tête vers l’avant.

 Son visage est joyeusement distrait, il parle, il chante, sa voix est chaude et rieuse comme
l’éclat d’un fruit que l’on a envie de croquer…

Ce matin, il achemine sa fortune !

Tout à l’heure, il était encore à genoux dans le sable, le bras parfois enfoncé jusqu’au coude,  à
récolter des oeufs de tortues…

Il en avait rempli son sac, et c’est cette denrée sacrée qu’il était entrain de traîner sur son corps
suintant …

Mao habitait avec sa famille dans un petit village, au creux des dunes, ballotté par les
flots.

Il menait à présent une existence heureuse, ce qui n’avait pas toujours été le cas.

Enfant, il avait appris l’école dans la rue, entre deux cageots de bois.

Il survécut comme il put, trouvant toujours un carton pour se faire un abri, dans son coin de ville sans
égouts ni lumière, où les forêts au loin ne sont plus que des monts ras et poussiéreux.

Mais il savait rêver …

Du temps où sa grand-mère lui préparait encore quelques fruits et une poignée de maïs bouilli pour son
petit ventre, les yeux plongés dans le bol de café fumant, il rêvait d’enjamber dans la jungle les jolis ponts suspendus, et il savait imaginer les nuées de papillons, les couleurs des toucans et
les belles orchidées nichées dans les troncs d’arbres …


 

Mao venait de quitter la plage et s’engager sur un sentier de traverse, rejoignant une rivière à
mangroves …

Il poursuivait en silence quand, un singe hurleur le fit sursauter.

Dans un mouvement de surprise, il trébucha contre un arbre, accrochant par mégarde son sac à une branche

Il le récupéra sans effort mais le raphia s’était légèrement déchiré et un oeuf s’en était échappé
!

Il continua vers sa destination, ignorant tout de l’histoire qu’il allait laisser derrière lui
!

 

L’oeuf était tombé à côté d’une superbe cabane en bois flotté… 

Au premier abord, personne !

Mais, qui pouvait bien habiter là ?  A vue d’oeil, sûrement un ébéniste !

Dans ce paysage de mousses et d’eau, règnaient le jacana et le grand héron.

 Une barque s’approcha…

De loin, on entendit quelqu’un renifler bruyamment, grogner même : c’est « Jef l’hérisson » et c’est
aussi l’occupant de cette ravissante nacelle en bois de balsa, petit chef d’oeuvre de sa fabrication.

Il mastiquait autant qu’il grognait !

Il était sur un bon coup mais le bruit que fit Mao en détachant son sac, l’avertit aussitôt qu’une action
peu banale s’était produite près de sa demeure.

Alors, il dut laisser choir son frugal repas, fait de vers de vase, d’artémias et de
daphnies….Et elle résidait bien en cela la raison de sa mauvaise humeur .

Jef ne ressemblait pas aux autres hérissons.

Il ne mangeait pas d’insectes, d’oeufs ni de fruits, seules les panacées de poissons faisaient son
bonheur !

Plusieurs passions le nourrissaient également : la pêche dans sa rivière,  le travail du bois et la
musique …

Autant vous dire qu’il ne s’ennuyait jamais !

Une fois parvenu au seuil de sa porte, il regarda, consterné, cette curieuse balle de golf,
atterrie, là, sur son sol, et qui n’en était pas une bien évidemment…

Il réfléchit un long moment et tout à coup se rappela !


Son ami, le héron, lui avait maintes fois raconté…« l’histoire de l’arribada »

Au dernier quartier de lune du cycle sélénite, la nuit tombée et à marée haute, des dizaines de milliers
de tortues marines convergent  pour pondre des millions d’oeufs. Elles creusent un trou dans le sable avec leurs pattes ou rament en arrière et y pondent leurs oeufs qu’elles recouvrent avec
la plus extrême minutie avant de retourner à la mer.

Elles sont si nombreuses qu’elles se touchent, se poussent, s’entrechoquent …C’est un spectacle
inoubliable !

Et c’est, paraît-il, tellement beau, vers les cinq heures du soir, toutes ces voûtes d’écailles sous les
splendides lueurs orangées du soleil ….

Les premiers nids sont souvent déterrés, piétinés ou abîmés par les pontes suivantes.

Aussi,  les habitants du village sont autorisés à collecter les oeufs durant les deux premiers jours
de l’arribada.

 

« Oh toi, dit Jef en jetant un oeil attendri vers son protégé,  tu ne seras pas mangé tout cru
dans un cocktail d’épices, sur le coin d’un comptoir ! » 

Il ne pensa plus à grogner …

Mais, comment cet oeuf avait-il pu arriver jusqu’à là, songeait-il avec émotion !

Il l’enveloppa de terre douce, à l’ombre d’un tamarinier, dans un coin de son jardin et …il attendit
!

 

 

Il attendit ainsi des jours et des semaines, le couvant de son regard …

Un tas d’idées surgissait souvent de son esprit ! Il imaginait « son » oeuf, parce qu’il
était devenu le sien, sur la plage, entouré de ratons laveurs ou de coyotes alléchés par l’odeur. Il voyait rôder autour de lui les vautours à tête noire ou à tête rouge et les crocodiles

Il était bien mieux sous son arbre !

Chaque soir, à l’apparition de la lune, il sortait son carimba et le berçait de sa chanson
douce :

« Avec mon carimba

Je suis le plus heureux

De son arbre le paresseux

Descend dès qu’il me voit

 

Au son de mon carimba

Les lianes batifolent

Et tous les cerfs-volants

Se transforment en  oiseaux ! « 

 

 

 

Un soir que la nuit était fraîche et que les étoiles faisaient la fête dans le ciel, il
avait eu envie de s’asseoir près du nid de terre douce qu’il avait construit avec tant d’amour …

C’est alors qu’il entendit des petits bruits secs, à peine audibles, un fragment de terre
s’écroula à ses côtés,  et une tortue en sortit …

Elle avait un joli bec de perroquet et la couleur de l’olive , qu’elle était belle
!

Jef tâtonnait de ses doigts tremblants et malhabiles le sol encore tout
chaud…

Il s’y était pourtant préparé mais ses yeux ne parvenaient pas encore à  croire à ce
phénomène merveilleux …

Et, comme si ce prénom avait toujours été déposé sur ses lèvres à son insu, il la baptisa
« Néréide »

 

Elle avait bien fait, Néréide, de sortir à la fraîcheur. Tant de ses congénères mouraient
brûlées d’être nées trop tôt sur un sable cuisant !

Elle échappait aussi aux cinglants coups de pinces des crabes, aux fatals coups de bec des
charognards …

Toutefois, il lui fallait de l’eau sans trop attendre.  Vite la rivière
!

Jef l’amena dans son univers aquatique, faute de mieux.

Néréide s’y adapta avec une incroyable désinvolture …

Comment ne pas raffoler d’un tel écrin de verdure, perdu entre volcans et rochers
!

Et Jef ne vivait que pour la gâter, la dorloter, occupant toutes ses journées à lui pêcher
des anguilles et une armada de petits poissons. Il n’avait même plus le temps de travailler le bois ou de jouer de la musique.

Il n’avait d’ailleurs plus le temps de rien !

 

Un jour cependant qu’il revenait en sifflotant, la nacelle emplie de victuailles, il la
trouva dormant sur un coin de sable, la tête et le corps recroquevillés sous sa carapace ….

 Depuis quelque temps, elle avait pris la triste habitude de s’isoler et ne mangeait pratiquement plus.

Jef avait beau retourner la situation dans tous les sens pour essayer de comprendre ce désarroi, mais en vain
!

Alors, il l’a laissée tranquille, respectant son apathie et sa soif de solitude …

Sa tortue était malade, mais ….de quoi pouvait-elle bien souffrir ?

N’en pouvant plus d’inquiétude, il se décida un jour à aller lui parler, persuadé que le dialogue portait
toujours ses fruits.

Néréide eut, d’abord, infiniment de peine à sortir quelques mots, puis, au fur et à mesure que la conversation
prenait tournure, elle sut déverser le contenu de son coeur et …elle expliqua !

 

 

Par un bel après-midi, aux vapeurs tièdes et affriolantes, elle s’était aventurée un peu
plus loin que d’ordinaire ….

Attirée par l’irrésistible beauté des roses de porcelaine, elle s’était arrêtée un
moment.

Là, sur ces touffes délicieusement charnues au parfum surprenant, se tenait un véritable
concert ! Elle reconnut la voix du colibri bavard …

Mais il semblait y en avoir cent, voire mille, et tous parlaient en même temps
!

Les sujets s’abordaient pêle-mêle, un peu de tout, beaucoup de rien et, soudain, elle
n’entendit plus qu’une voix …

Cette voix racontait « l’histoire de l’arribada » ,

celle des mamans tortue venues faire leurs petits sur la plage !

Elles sont des milliers, disait la voix, à chaque minute en surgit une de l’eau

La peur les fait pondre très vite et regagner en toute hâte la mer.

Les hommes arrivent alors, tels des rapaces, pour cueillir les premiers oeufs qu’ils
revendront à bon prix ou utiliseront comme aphrodisiaque ….

Néréide ne put en supporter davantage et elle s’en retourna, la tête ravagée de tout ce
qu’elle venait d’entendre !

S’en suivirent de longs jours, où son esprit fut torturé par maintes questions, auxquelles
elles ne savaient répondre, sur le pourquoi et le comment de sa naissance, les  intentions de Jef et les couleurs de son vrai milieu naturel ….

Partagée entre le rêve, la révolte et le doute, elle ne parvenait plus à entendre le doux
chant de l’amour ……

Jef l’écoutait, le coeur serré et à son tour …il expliqua !

Il lui parla de ce trésor qu’il trouva près de sa porte et qui lui fit battre le coeur
comme le plus fougueux des torrents, de l’impression qu’il avait ressentie de loin le faisant ramer tel un forçat…

Il lui raconta le nid de terre douce, les mélodies rimées pour elles au clair de lune et
ses larmes de joie lorsqu’elle sortit du sol, ce sol qu’il avait caressé et nourri avec la même tendresse que pour le ventre d’une maman !

 

Néréide s’était approché de Jef,  et  l’on pouvait voir dans ses deux prunelles
rondes toute la compassion du monde …

Elle lui avoua alors être habitée depuis par une sensation étrange, ressemblant fort à un
terrible vide, un besoin, une absence …

Jef entrevut aussitôt le visage de ce mal , il faisait partie de ces ivresses
indéfinissables  qui s’installent en nous sans prendre de billet de retour, il portait bien des noms mais s’appelait ici 

« Appel du large »

 

 

Jeff n’avait jamais pris la mer, il aurait pu, il suffisait de suivre sa rivière, mais il
n’avait jamais osé.

Cette fois, il vaincrait sa peur, et il entreprit le projet fou de reconduire Néréide
jusqu’à la mer !

Jef pensait qu’il était temps pour Néréide de rejoindre les siens et qu’il n’avait plus le
droit de la tenir enfermée dans ce joli sérail verdoyant.

Son sang, sa chair, ses racines appartenaient à cette errante au regard lointain, qui fait danser l’infini
telle une gitane en robe d’écume …

Et ils partirent tous deux vers elle, pour un voyage exaltant !

 

 

En la découvrant, ils la trouvèrent à l’image de leurs rêves et même plus éblouissante encore …

Après avoir promis à Jef de ne jamais l’oublier, Néréide plongea dans ce paradis bleu comme si elle ne l’avait
quitté que de la veille.

Jef resta scellé sur le sable jusqu’à temps de ne plus apercevoir de Néréide qu’un point invisible sur
l’horizon !

 

Mais, les nuits d’étoiles, lorsqu’il lui semble entendre son cri au loin, Jef retourne seul jusqu’à la
mer.

Alors, il sort son carimba et chante :

 

 

« Avec mon carimba

Je suis le plus heureux

De son arbre le paresseux

Descend dès qu’il me voit

 

Au son de mon carimba

Les lianes batifolent

Et tous les cerfs-volants

Se transforment en  oiseaux ! « 

 

Et les larmes qui perlent sur son manteau de bois, en branches enchevêtrées, forment le
plus somptueux des bouquets de rosée …..

 

 

Dans la folle vapeur des vagues, il était une fois Mao, un homme rêveur, semant une
majestueuse graine d’amour, 

et un cerf-volant en papier devenu un gigantesque oiseau …!

 

               Sabine.


 

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