Au pays des rebelles !

 

Pour le thème du mois de septembre chez les « Passeurs de mots » et, avec un peu de retard, voici ce que m’a inspiré ce sujet si plein de charme qu’est 

la vigne !

 

 

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Vous vous souviendrez peut-être …

C’était en décembre, pour la lettre « C » du bal des citations, j’avais choisi le mot « conte », faisant parler Chabrol au coeur de ses Cévennes …

Je luis faisais évoquer, par quelques extraits, les rêveries d’un instituteur, la maison commune, des visages inoubliables et ce fameux vin hors-la-loi « le clinton ».

Je vous offre aujourd’hui quelques extraits de plus, honorant encore ce vin , thème de septembre oblige !

Dégustons ensemble ce nectar de littérature émanant de cet écrivain rebelle qui, à chacun de ses mots, nous transporte dans  l’authenticité  de son terroir et …quel terroir !

 

——–

 

 

« Frank Joszà prit le verre des deux mains, entre le pouce et l’index. C’était un vin sombre, épais. Il le porta vers ses lèvres avec un geste de prêtre. Il ferma les yeux, avala d’un trait une longue gorgée. Il en fut soulevé, crispé, il retomba sur sa chaise pour se rassembler contre l’insurrection de ses entrailles.

Nous le savons, au premier abord, le clinton est épouvantable.

Mais quand on n’a eu la bouche faite qu’à lui, les meilleurs vins paraissent toujours un peu fades.  A Clerguemort, chaque famille fait son clinton pour l’année, ce qui fait trente clintons. Apportez-moi trente verres et je vous dirai : ça, c’est le clinton des Ardailhan, ça, c’est le clinton du Mèffi,  ça, c’est celui du Sang-Caillé, mais il est de plus fines gargamelles,  le Mèffi ou le  Chicane pourraient dire : oui, c’est le clinton des Ardailhan, mais pas de cette année, c’est celui d’il y a deux ans, du septembre qu’il a tant plu ; oui, ça, c’est le clinton du Sang-Caillé, mais pas de sa vigne des Fossats, de sa vigne du temple, sûr !

Ni le Mèffi ni le Chicane ne seraient capables de distinguer un bourgogne d’un bordeaux.

A retardement, Franck Joszà découvrait dans sa bouche une saveur incroyablement fruitée, un goût de framboise écrasée.

Le clinton est comme le cochon, bon de la tête aux pieds, rien à jeter.  Ses sarments secs sont les meilleurs des allume-feu.  Ses feuilles sont la meilleure enveloppe des fromages de chèvre.  Ses grappes, on n’en finit plus de s’en servir : on les écrase dans une cuve, on laisse « bouillir » puis on tire du jus de raisin pour les enfants,  du vin doux, puis le clinton, le premier. On jette par-dessus plusieurs arrosoirs d’eau et on tire la piquette.  On recommence pour obtenir la deuxième piquette. On vide la cuve avec des fourches et on porte la « raque » au pressoir pour en tirer le vin de presse. Le marc forme alors des blocs durs et secs.  On les apporte à l’alambic pour en extraire encore différentes eaux-de-vie. Il ne reste alors de la grappe que du bois, des panneaux fibreux qui, convenablement traités, peuvent être encore utilisés pour toutes sortes de choses. Cependant, les femmes savent composer, avec les différents liquides obtenus par les différentes opérations,  des liqueurs aromatiques, des apéritifs, des digestifs,  des reconstituants et potions médicinales qu’elles gardent dans de curieuses fioles où macèrent des fruits choisis ou des plantes connues d’elles. Chaque famille prépare un vin de dessert dont le nom lui-même est curieux : la carthagène,  souvenir d’une aventure espagnole …

Le maître de céans, le Jaurès, apportait gravement une bouteille poussiéreuse, cachetée d’une cire rouge qui avait coulé quelques stalactites le long d’un goulot. Il était allé la choisir lui-même, la cave est le domaine de l’homme.

Il est juste d’avant-guerre. Pas moyen de faire tenir une étiquette, mais je le sais, je l’ai transvasé pour la naissance de Milca. Nous allons déboucher cette bouteille pour la bienvenue de ton neveu à Clerguemort. Je ne sais pas comment il a tenu, ce vin, je me méfie un peu …

En Cévenol bien né, le Jaurès entreprit de déprécier ce qu’il offrait. Le Jaurès était le maire du pays. C’était un Chapon, un de ces Chapon de l’Arboussas qui sont le pain blanc de la Cévenne. Quand on pouvait dire : « C’est le Jaurès qui l’a dit » personne ne doutait plus.

Ne la bouléguez pas trop, il y a du dépôt, j’aurais peut-être dû la transvaser doucettement avant de la servir, mais ça n’aurait pas été pareil …

Le Jaurès présentait longuement ce vin, il disait la vigne, et ses maladies, et ses maux, le phylloxéra, les plans américains, pour fortifier nos ceps contre cette peste …

…C’est quand même quelque chose, quand on y pense, murmurait-il soudain comme saisi par l’idée qui venait de le traverser : quand on a greffé le plan américain, pendant quelque temps, nos vins n’ont plus eu le même goût, et puis peu à peu, la terre a repris le dessus, notre vin est redevenu ce qu’il était depuis toujours, à s’y tromper, notre terre a fini par avoir le dessus, le terroir d’origine, la race finit toujours par avoir le dessus …

Ce disant, il regardait Franck, rêveusement, ce neveu Larguier, des Larguier du Casquillé, qui venait on ne savait trop d’où, d’Allemagne du Nord, et qu’il fallait greffer sur le cep de sa lignée, de la mèno Larguier, le vieux cep croché dans la caillasse du Casquillé.

 

Ton vin, Jaurès, il est joli pour les yeux d’abord, disait le vieil Esaïe, puis, après y avoir trempé ses lèvres, après en avoir prélevé une petite gorgée pour se la promener dans tout l’intérieur de la bouche, il ajouta : Il est bon aussi au goût, ton vin, Jaurès ! Enfin, après avoir avalé cette première gorgée, le vieux chevrier fit claquer sa langue : Ton vin, Jaurès, c’est un petit bonheur sur l’âme, voilà, et voici qu’il est  dit dans l’Ecriture : « ce n’est point aux rois, Lémuel ! ce n’est point aux rois de boire du vin, de peur qu’en buvant ils n’oublient la loi et ne méconnaissent les droits de tous les malheureux, donnez du vin à celui qui a l’amertume dans l’âme ; qu’il boive et oublie sa pauvreté, et qu’il ne se souvienne plus de ses peines … »

(Jean Pierre CHABROL).

 

 

Et si, comme Chabrol le fait également dans son livre, nous citions Khayyâm l’Infidèle :

 

 » Quand je serai aux pieds de la mort

et que le fil de mes jours sera coupé,

qu’on fasse de mes cendres une cruche

et peut-être,

quand le vin l’emplira,

renaîtrai-je à la vie . »

 

 

Pas magique, cette histoire de vin ?

 

J’aime ce terroir, et ses gens !

Je l’ai parcouru à pied et le parcourrais encore …!!!

(avec un peu de clinton dans le sac ? Mais bien sûr ! )

  

 

 

 

35 réflexions sur « Au pays des rebelles ! »

  1. Tout cette authenticité, la vérité de ce terroir me plaisent énormément même si je ne bois jamais de vin rouge.
    Je bois seulement un peu de blanc s’il est doux.
    Mais un texte quel qu’il soit, aussi bien écrit que celui-ci, est plaisant à lire et enrichissant.
    Bises bien amicales, chère Sabine.

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  2. Attention au cinton dans le sac, il va te couper les pattes;)
    Tout de suite attirée par ton titre, tu penses: « Au pays des rebelles »!!!
    Je ne suis pas déçue du détour, j’ai lu une très belle page qui fleure bon l’ancien temps et les vraies valeurs.
    Tu me fais envie, avec tes Cévennes, merci Sabine pour ce billet encore une fois somptueux.

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  3. J’aime ses textes qui content les us et coutumes de ces terroir « d’antan » et de leurs autochtones.

    Tu connais peut-être notre conteur Bourguignon Henri Vincenot.

    Jolie participation pour le thème autour de la vigne.

    Bise.

    Philippe.

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    1. Et comment que je le connais !

      Il trône sur un mur de ma cuisine, dans un extrait de ses « étoiles de Compostelle » que j’ai moi-même recopié tout à l’encre de Chine !!!

      Je ne savais pas, par contre, qu’il était bourguignon ………Bisou : sabine.

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  4. Bonsoir Sabine, je suis viticultrice enfin , j’étais, j’ai admiré ton billet, parler du vin , de la vigne avec des mots si poétiques m’ont beaucoup touché. Merci bonne soirée bisous MTH

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  5. Wouaw! ma chère Sabine,
    j’ai pris un plaisir immense à lire ton billet. Le vigne, le raisin, le vin, mes racines y plongent à plein coeur du sud ouest. Et d’autre part, c’est le thème de mon expo de novembre. ça m’a pris tout l’été et ça va continuer jusqu’à fin octobre, si ce n’est début novembre.
    J’adore Chabrol. En le lisant j’entends sa voix, son bel accent
    J’apprécie un bon vin avec le plat qui lui convient. Faire chanter les pailles, huuummm! 🙂
    Bisous de douce soirée
    martine

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  6. Que j’aime ces mots parlant du vin.. de la vigne et de ses vignerons
    Dur labeur que celui de vigneron dont la récolte n’est jamais certaine avant les vendanges.
    Le langage est infini.. chaque vigne a son secret pour le bouquet offert.
    J’apprécie le vin en bonne compagnie.. lorsqu’ensemble on recherche le gout de terroir,
    que l’on fait des comparaisons… des recherches
    Tout en trinquant et se souhaitant une bonne santé !!
    Levant nos verres :
    A ta santé chère Sabine!

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    1. Oui oui ouiiiiiiiiiii…Ze m’ferai toute pitite pitite !
      GROS BISOU.
      (Tu peux prévoir une grande grande valise, car c’est finalement toute la famille qui va vouloir venir, tu penses !)

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  7. Chez moi les vendanges viennent de se terminer …
    Joliment écrit ton article , on a envie de le goûter ce vin…

    Je serai moins présent sur les blogs , des contraintes familiales, mes parents âgées habitant assez loin de moi ont besoin de moi, du coup je ne pourrai plus vous être fidèle, mes ami(e)s je dis cela à tous ceux qui étaient habitués à mes publications journalières
    Douce journée Sabine
    Bisous
    timilo..

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  8. L’histoire est magnifique.
    La vigne est une des plus anciennes cultures, la plus riche en enracinement dans le terroir. Les légendes, les traditions sont nombreuses, font rêver et ancrent nos traditions.

    Merci pour ce conte.

    Gros bisous.

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  9. Génial, ce texte de Chabrol ! J’étais tordue de rire. En effet, j’ai aussi dans mes souvenirs lointains une belle histoire de « clinton »… J’étais toute jeunette, jeune mariée (21 ans) et avec mon jeune époux Robert (25 ans) nous étions partis camper par le train (!), le Paris-Nîmes, et avions donc planté notre petite canadienne à Concoules dans un pré à ânes ; à quelques kms de là il y avait Villefort, où avait lieu une fête médiévale assortie d’un super-loto, et où coulait à flots le « petit clinntonn » !! Robert, un vrai pitre qui en même temps détestait les femmes se prenant pour des princesses, avait pour écoeurer une de ces mijaurées fait semblant d’être ivre-mort ; il se roulait par terre à mes pieds, et moi, désespérée, je me voyais interpellée par les gars du coin qui essayaient de m’en détourner en me disant : « c’est pas un mari que tu as, c’est une cuve ! » (avé l’accent…), alors qu’ils étaient manifestement plus éméchés que lui. Quand Robert bondit soudain tout guilleret sur ses pieds, il nous fallut filer rapidement car les types étaient plutôt furieux d’avoir été trompés !!

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  10. Coucou Ma Douce Soeur de Fleurs !!! Sourire
    Comment ne pas savourer ces mots aux tendres accents Cévenol ?… Moi, je salive et en redemande encore !!! Oui, je suis tellement « gourmande » de mes Chères Cévennes, que veux-tu… Sourire Rieur
    Quant au vin, un vieux souvenir remonte à moi… Au coeur des Cévennes, j’ai vécu une aventure « Vinicole » qui m’a privé de « Bon Vin » pendant des années !!! J’ai même encore du mal à écrire son nom m’enfin !!! Le… cli… le cli… clit… clittttt… fouuuuuuu ze crois que ze va encore vomir malgré les nombreuses années écoulées depuis « cette mésaventure »!!! Rire en cascade mais… Berk
    Merci pour cette belle parenthèse automnale « Au Pays des Rebelles » que je chéris tant… Sourire Enchanté
    Je te souhaite à Toi & Aux Tiens un très doux vendredi ainsi qu’un excellent week-end ensoleillé !!! Intense Sourire
    Mille très très tendres Bisoudoux Chaleureux
    ***Tincky***

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    1. « Magie », oui Marie, et c’est d’ailleurs plus l’histoire d’une terre que j’ai voulu évoquer, plus que le vin par lui-même (que je n’ai jamais goûté et que je compte bien goûter un jour même s’il doit m’arracher les boyaux !!!).
      C’est tout ce qu’il y a « autour », tout le coeur mis, la fougue de ces gens (elle est souvent silencieuse chez les cévenols mais bien présente !), les mots de cette terre qui ne cessent de parler à travers l’âme de ses hommes …………etc etc etc !

      Très douce journée, bisou : sabine.

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  11. Je découvre ce  » clinton  » décrit avec une réelle passion . Merci d’avoir partagé cette superbe page de Chabrol .
    J’aime ces conteurs d’exception, j’ai lu les commentaires et j’avoue aussi que Vincenot aussi me fascine
    Bonne soirée
    Bisous

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  12. Honneur à Bacchus en cette saison de grains lourds d’ivresse de soleil, je suis en retard pour te lire…Je t’ai écrit, j’espère que cette missive confiée aux mains frivoles de temps t’ai parvenue…à moins qu’elle ne se soit perdue par les vignobles….
    Je t’embrasse de tout coeur..

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  13. J’ai lu ce texte avec grand plaisir et ai appris bien des choses ( entre autres ce fameux « clinton »dont j’ignorais totalement l’existence ) et ne suis pas surprise que ces femmes du terroir tirent le maximum du raisin récolté et fassent travailler leur imagination pour en tirer maintes recettes.
    Merci pour cette découverte
    Bises

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  14. Nous le boirons ensemble chère Sabine ce Clinton même si il a le goût âpre, il aura le gout des Cévennes si cher à Monsieur Chabrol.

    Comme tu as su choisir avec délicatesse cet extrait sur la terre Cévenole.
    Et, coïncidence mais cet été j’ai lu de Jean Pierre Chabrol ceci, je t’en met un extrait que j’ai retrouvé au hasard de mes flâneries:

    « D’après Zola, y a-t-il autre chose en art que de livrer ce qu’on a dans le ventre ? Alors cet été-là, pardonnez-moi, je me suis soulagé : ma Cévenne, mes voisins, mes parents, mes amis, les mineurs, les paysans, mon atavisme huguenot, mes idéaux marxistes, sur la terre comme au ciel, et sous la terre, la tramontane, la vigne et le charbon, un cocktail, un « mescladis » selon le vocable occitan, tout cela partait d’un lieu, un village que je nommais Clerguemort, qui rayonnait comme un soleil dont la chaleur allait réverbérer jusqu’à Paris, jusqu’à Hambourg…
    Les Rebelles, je persiste et signe, c’était le meilleur de mon passé…

    En fait il a mis 4 de ses romans sous le titre des « Gens de la Cévenne » il y a:

    Les Rebelles
    La Gueuse
    L’Embellie
    Le Crève-Cévenne

    Il y dit aussi que le pays des Rebelles n’existent plus, mais toi tu viens de le faire revivre sous mes yeux passionnés.

    Quelle délicatesse pour honorer mon thème de septembre que de nous citer un large extrait.Merci oh merci Sabine au nom de la Communauté des Passeurs de mots! Je n’oublie pas la photo….

    Bisous de ton EvaJoe

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  15. Incroyable …….c’est ce livre-là que j’ai, Joëlle, ce gros livre de 1073 pages !
    Et c’est de ce même livre qu’est extrait le texte de mon billet !

    Quant à ce que tu cites, c’est bien la présentation qui se trouve au dos …(et que j’aime à lire et relire sans me lasser !).

    Et, pendant que tu m’écrivais ce commentaire j’étais, moi, entrain de t’envoyer un mail (sans savoir, bien sûr, que tu étais entrain de me parler ….Que j’aime ces instants !!!).

    J’ai en ce moment mon fond d’oiseau, mêlé au tien, celui des vagues ………..Et comme c’est beau !!!

    En intime pensée ce soir toutes les deux ……………(ce soir et tant d’autres jours, même s’ils paraissent silencieux !) : ta tite soeur de coeur qui TANT-brasse !

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  16. Chère Sabine, quelle bonne idée, en cette période de vendanges, de nous offrir en partage ce texte magnifique ! Je n’ai aucun mal à imaginer ces scènes qui me rappellent tellement mon enfance. Les cépages, c’étaient le 18315, la Folle, le 4643, l’Hotello (croisement de Clinton et le Frankenthal )et le noah, bien sûr, maintenant interdit. Chacun faisait son vin gris, sa piquette aussi, comme l’écrit Chabrol. On n’était pas riches, mais avec la polyculture, on ne manquaitde rien. Tout cela a bien changé !
    Un grand merci pour ce délicieux moment.
    Gros bisous de nous deux et bon dimanche
    Alain

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  17. Je me suis évadée grâce à toi, chère Sabine, dans ce pays que je ne connais pas, j’y ai bu le vin et lu le passage du vigneron. Et je me dis qu’il est bon et bien d’écrire sur ce que l’on connaît, sur ce que l’on aime, car la vérité sort des phrases justes et touche l’âme.

    Merci à toi, Passeuse de mots. Je t’embrasse fort,

    Lorraine

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  18. Merci Sabine d’être passée par mon humble espace, ce qui me donne l’occasion de te lire et de parcourir tes superbes écrits. Une merveille que ce blog ! Je suis en admiration !
    Douce et agréable fin de ce jour !
    Amitiés.

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