Eole le goéland …….

 

 Enfant déjà, nous aimions les beaux livres d’images,

aspirant une à une leurs couleurs,

nous imbibant de leur histoire, leur magie,

les parcourant de nos mains, 

afin de les rendre encore plus vrais,

plus proches de nous …

Ils étaient la vie,

celle autour de nous et en nous,

et nous avions envie et besoin de ce voyage !

Plus tard, rien ne changera …

La photo continuera à être cette passerelle

entre nous et le temps, 

et nous créerons, par elle,

nos propres livres d’images,

éveillant l’enfant curieux et épris,

que nous étions !

 

 Il est difficile, voire impossible, de savoir ce que ressentait l’auteur au moment où il a recueilli l’image ; cette rencontre avec l’instant ne concerne que lui ! En la partageant, comme « évajoe » nous le propose ici, nous ne pouvons qu’y mettre notre propre émotion …

 

Pour  le thème d’avril des « Passeurs de mots » : une photo, des mots

et sur une image de Martine,

voici le récit que m’inspira cette image …

 

 

bateaux Martine

 

 

  

Je suis né à mi-chemin entre la vague et le vent, au célèbre Fort Boyard,  à une époque où il trônait en sauvage heureux , aucun aménagement n’y ayant été encore fait et les bateaux pouvant y accoster librement. Il était notre maison maternelle, nous y nichions par milliers !

Un bel après-midi de printemps, un jeune pêcheur, qui était aussi l’aîné d’une grande fratrie, m’emporta dans le creux de ses mains ;  j’étais alors tout bébé.

Dès lors,  dans la veine de mes souvenirs,  s’inscrivit une histoire pathétique  avec les humains, aux senteurs mêlées de varech et de mousse !

 

Je vécus quatre belles années au sein de cette famille, aux accents simples et au coeur d’or …

Je fus très bien nourri ! Viande, vers de terre, poisson, ravirent mon petit estomac. Mais, au début, étant encore recouvert de duvet,  on me prépara des mixtures à base d’eau et de pain. Les filles allaient chercher leurs petits biberons de bonbons qu’on remplissait d’eau pour me faire boire.

Cette humble chaumière aurait pu s’appeler « L’arche de Noé », tant étaient nombreux les réfugiés ayant pris part au quotidien de ces braves gens.

Un épervier et deux corbeaux y avaient, en effet,  élu domicile une bonne année auparavant. A ces joyeux lascars, venaient s’ajouter huit chats et une chienne bâtarde au fichu caractère.

J’allais partager, avec mes âmis d’ailes, une immense cage sur pied à hauteur d’homme, disposée le long d’un superbe lilas. Elle demeurait bien sûr toujours ouverte, afin que nous puissions aller et venir à notre guise. Je vous laisse imaginer, le soir, lorsque nous y étions tous réunis,  ces veillées inoubliables !!!

J’aimais  me poser près de ces humains, je me laissais prendre et caresser. Mais jamais ils ne m’avaient vu perché sur un arbre, préférant de loin la stabilité du sol.

La cantine était bien bonne, je vous l’ai dit plus haut ! Lorsque l’un d’eux bêchait le jardin, je me tenais à quelques mètres, histoire d’avaler quelques bons vers de terre.  Mes flâneries me portaient parfois vers le fossé où je goûtais aux lentilles d’eau. Mais, quand le père arrivait le vendredi soir, après une  semaine en mer,  nous rêvions tous de ce « déjeuner trois étoiles » du lendemain ! Le samedi matin en effet avait lieu la grande distribution de victuailles. J’avais pris l’habitude de m’installer sur le puits fermé et attendait le succulent poisson, le hors taille attrapé dans les filets, que le père disposait dans des bacs, puis répartissait dans nos assiettes.  Nous en étions tous espièglement friands,  le gourmet que je suis, mes âmis les corbeaux et l’épervier, ainsi que les huit félins.

  Le jardin était si gigantesque qu’avec mes yeux d’enfant je le voyais comme un océan ! La maison, de modeste taille, n’y était qu’admise. On y parlait de la mer, des bateaux, des tempêtes, des bonnes prises et des bons coins de pêche…  En revanche, les accidents, les noyades, le fils ou le frère qu’on pleurait, tout ce lot de tristesse et de drames, ne se déversait pas en public. Il restait blotti en secret dans l’écrin des coeurs. On en percevait toute la dimension dans la pliure d’une ride ou la pause d’un regard !

L’école n’était pas le sujet favori, comme si chaque enfant connaissait d’avance son destin ; il serait, fatalement, ostréiculteur ou marin, comme l’était le père qui exerça tour à tour ces deux professions. Et du temps héroïque où il était ostréiculteur, tout le monde s’en rappelle ! Dans le chai en terre battue, c’est toute la famille qui détroquait puis allait chercher des pierres dans les champs ou les vieilles bâtisses pour en faire des capteurs d’huîtres. La mère n’échappait pas à la corvée, en plus des enfants, ils étaient neuf, et du travail à la maison.

En revenant de l’école, enfin pour ceux qui la fréquentaient encore, les devoirs étaient bâclés. Puis ces « écoliers Robinson » se rendaient au port, avec l’aîné de la fratrie, pour étendre les filets de pêche,  en enlever le sar, le poisson mort, et remettre le tout, parfaitement propre, dans le chalutier. De retour pour la soupe, il était 20 heures bien sonné ! Les mardis soir ou les week ends, certains  partaient aux pibales pendant que d’autres allaient aider le paysan du coin.

Un jour, je ne me souviens d’ailleurs plus lequel, s’il y faisait un soleil de plomb ou un froid sibérien, peut-être sur un coup de tête et sûrement à force d’avoir trop entendu parler de la mer,  j’ai hissé toutes grandes mes ailes et je disparus pour rejoindre les miens …

Depuis, la mer me parle souvent des hommes. Je l’écoute, devinant ses mots, frissonnants d’extase ou de crainte :  elle sait que je sais ! Elle me considère comme un grand sage qui serait revenu d’un long pèlerinage.

 Mais je sais aussi que les marins nous aiment, car avec nous ils ne se sentent jamais seuls sur l’eau …

Ils déposent, sans le vouloir, tant de choses sur nos ailes, que ce sont eux les « paroliers silencieux de nos chants » !!!

 

Eole, le goéland.

(A mon coéquipier de vie )

 

 

 

40 réflexions sur « Eole le goéland ……. »

  1. Une histoire qui sent vraiment le vécu, même si c’est le goéland qui parle !
    C’est la vie de gens modestes et travailleurs avec un grand coeur et une maison ouverte à tout ce qui vit.
    La mer ne pouvait que t’inspirer, toi qui en es si proche.
    Quant aux images, ne dit-on pas « sage comme une image » et ne donnait-on pas une image à l’école quand on avait dix points ?
    Belle soirée à toi, chère écrivaine et bises amicales.

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  2. Bonjour Sabine,

    Que de frissons j’ai ressentis en lisant les tout premiers mots parlant d’être né près de Fort Boyard. Que de regards croisés, de moments vécus dans ses contrées me sont revenus pendant que je découvrais tes premiers mots. Ce fut intense.

    Puis, après je me suis laissée porter par ce goéland l’imaginant vivre chez Patrick, pensant que cette belle histoire pouvait être vrai ou imaginée par toi. Qu’importe j’ai en te lisant imaginé pleinement chacun de ces instants racontés avec ta verve habituelle.

    Mes yeux en cet instant devaient briller comme des étoiles qui sont autant de pépites d’or lorsque je suis émerveillée par tant de belles choses que tu sais si bien nous conter.
    Comme cette photo superbe nous parle différemment et c’est ce qui est intéressant dans ce genre de partage.
    Chacun y voit avec son coeur et ses yeux et nous le transcrit, nous le fait vivre et revivre.

    Merci au nom de tous les Passeurs de mots pour ta participation.

    Belle fin de journée et gros bisous de ta soeur des mots

    EvaJoe

    En te lisant je m’imaginais lire un roman se passant là-bas chez toi avec ces visages différents que tu viens d’effleurer dans ce texte, je suis certaine que si tu avais le temps tu entraînerais les lecteurs dans une vie au coeur de ton beau pays.

    Je rêve de lire un jour un texte se passant au contact de ces marins, des êtres de ton terroir…..

    Merci…

    Un gros bisou à ton coéquipier de vie, et à la belle Lola

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  3. Tu rêves de ce texte, mais …le voilà !
    Le voilà puisque cette histoire est authentique, et que l’aîné de cette fratrie n’est autre que le frère aîné de Patrick.
    Patrick s’est surtout occupé des deux corbeaux et de l’épervier, mais également un peu du goéland.
    Quant à « mon » terroir à moi, il n’est pas celui-là ! C’est celui des péniches et des champs d’ortie, celui de chats et chiens abandonnés au bord du canal, que nous recueillions parfois ……..

    Immense bise-houle !

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  4. Tant de mots,
    tant de sentiments,
    tant d’impatience de connaître la fin de l’histoire, sans vouloir qu’elle se termine,
    tant de beauté avec cette narration , Eole le goéland plane et me fait planer!!!
    Merci Sabine pour cette histoire,
    bisous

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  5. En lisant ces mots si poétiques ma chère Sabine je reconnais quelque part Jonathan Livingston le Goéland, et sa quête magnifique d’absolu… belle allégorie !! avec des matins où « l’or d’un soleil tout neuf tremblait sur les rides d’une mer paisible »…
    Merci Sabine.
    bisous.
    Den

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  6. Les histoires qui se nouent avec les oiseaux, les animaux, les arbres, la fragilité de ce qui est vivant tient toujours un peu du Conte. La vie est une légende où il faut entrer…sans effraction, par fraction , intuitivement …Sur les ailes du coeur ,le voyage est infini…
    Je t’embrasse tendrement.

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  7. Magnifique histoire qui si j’ai bien compris est tirée du réel . En la lisant on a vraiment l’impression de rentrer dans la vie de ce pêcheur et de sa famille par le biais d’Eole . Je ne regarderai plus les goélands de la même façon maintenant .
    Bonne soirée
    Bisous

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  8. Bonsoir Sabine,
    je viens de lire avec beaucoup de plaisir et d’émotion aussi la belle histoire d’Eole le goéland, sa vie parmi les humains que tu mets admirablement en scène, son envol pour rejoindre les siens. Le voici devenu un habitant des deux mondes maintenant, il est celui qui sait. Je ne peux m’empêcher de songer à Jonathan Livingston de Richard Bach. Lui non plus, comme Eole, n’est pas un goéland comme les autres. Bravo pour ton talent de conteuse !
    Gros bisous et douce soirée
    Alain

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  9. Bonjour Sabine,
    C’ est en lisant votre commentaire sur la site de Passion que j’ ai été attiré par Eole, alors voilà je suis venue, j’ ai lu et cette histoire m’ a vraiment séduite. Merci pour ce partage.
    Aujourd’hui je n’ ai pas trop de temps, mais je reviendrai.
    Amicalement
    Simone

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  10. Bonjour Sabine,

    Quelle émotion en te lisant. En découvrant ce que ce cliché t’a inspiré. j’ai lu ta réponse ne commentaire comme quoi c’était du vécu. Je comprends la richesse des détails, la description minutieuse de la vie au bord de l’eau iodée. cette vie rude et authentique.
    Magnifique texte. j’ai beaucoup aimé
    Bisous de bon wk
    😉

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  11. Un régal de suivre l’histoire de ton goéland…Petit frère de Jonathan Livingston…
    Désormais, on saura en regardant voler les goélands
    qu’ils sont.. “paroliers silencieux de nos chants”…

    Merci pour cette belle histoire

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    1. Eh oui, pourquoi pas ?

      Mais, dans ce texte, ce sont les « marins » qui sont les « paroliers silencieux du chant des goélands » car c’est le goéland qui parle ici, et tout au long de l’histoire !
      Ces marins qui déposent sur leurs ailes tant de pensées et d’émotions lorsqu’ils sont seuls en mer ….
      Les oiseaux emportent toujours une part des rêves humains ……………

      Mais le marin aussi peut emporter une part des rêves de l’oiseau et les chanter ensuite, guidé par la plume silencieuse de l’oiseau ….

      Bisou marie ………

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  12. J’ai relu…
    Je ne devais pas être éveillée ce matin où alors mon imagination s’est envolée
    sur les ailes des goélands
    mélangeant le chant des oiseaux et celui des hommes…
    le chant de la terre et celui de l’océan…

    La pensée nous joue des tours quand elle imagine au-delà des mots…

    Excuse-moi d’avoir compris à l’envers…

    En relisant, j’ai cueilli plein d’autres trésors
     » dans la pliure d’une ride ou la pause d’un regard ! »

    Bon samedi
    Marie

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  13. Bonjour Sabine, je suis en extase devant ton récit qui mêle aussi bien les pensées du goéland à la vie des pêcheurs dont on sent que tu en as une grande connaissance. Laissons nous emporter avec cet oiseau vers des mers inconnues et partageons dans l’amitié ces beaux instants. Merci , je t’embrasse.

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  14. Que c’est beau !

    Plus qu’une histoire, un poème… Vécu bien sûr mais rêvé aussi.
    J’ai adoré « les paroliers silencieux du chant des goélands »… magnifique image !

    Passe une douce journée Sabine. Merci pour ce moment.

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  15. Oh chère Sabine..quel beau conte
    Histoire réelle
    Il a vraiment bien fait ton goéland de venir jusqu’à moi me demander de venir chez toi !
    Et m’apprendre ce que la vie d’un travailleur de la mer peut être rude..
    me dire ce que leur coeur peuvent être généreux
    Après quatre années de bons soins, son départ à dû les peiner ces braves gens
    Mais sachant qu’ il retrouvait sa liberté, leur but était atteint
    Je suis heureuse d’avoir ainsi pu mettre une image sur la vie rude de ton compagnon
    Ton récit est très émouvant
    Merci chère Sabine

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  16. Comme elle est belle ton histoire, la vie des oiseaux en danger et des hommes est si bien racontée ! Elle me touche tellement et on y sent un fond de vérité, on dirait que tu nous parles de ta famille ma douce Sabine …
    je t’embrasse très fort

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    1. C’est de l’enfance de Patrick (mon compagnon) dont je parle, qui s’est infiniment occupé des deux corbeaux (qui étaient pour ainsi dire « ses » corbeaux) et de l’épervier, un peu du goéland aussi.
      Le frère aîné du texte est le sien ……..et tout le reste ensuite !
      C’est une histoire authentique, de pied en cap.

      Bisou.

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  17. J’ai pris quand-même le temps de te lire, c’est beau…
    Sinon je suis toujours dans le noir ……….
    L’armoire qui regroupent les connexions des lignes téléphoniques de mon quartier a pris feu…
    Depuis plus rien , ni téléphone , internet, télé….
    Je suis allé constater sur place les dégâts, effectivement c’est moche …
    Question réparation , pour l’instant rien n’a bougé…. J’ai l’impression que tout cela va durer longtemps..
    Je partage la connexion internet de mon smartphone, mais elle est limitée,
    Du coup j’ai du à contre-coeur mettre mon blog en pause…
    Sinon je bouge un peu sur mon blog:de blogspost qui est relié aux réseaux sociaux…
    La poésie de Timilo (Le poète blogueur)….
    Lien: http://zitop.blogspot.fr/

    J’y publie quelques nouveaux poèmes et je remets à jour des anciens…
    J’espère que cette situation ne va pas durer trop longtemps …
    Que dire de plus………..

    Bon et doux dimanche Mes Ami(e)s
    Bisous
    Timilo

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  18. Merci Sabine pour ce joli conte plein de vie, d’embruns, de poésie mais ou rodent aussi les fantômes de ceux qui sont morts en mer et dont le souvenir se révèle, comme tu le dis merveilleusement, dans le pli d’une ride ou la pause d’un regard….

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  19. Une bien joli histoire, une fin heureuse il est de nouveau avec les siens pour vivre une vie de goéland, c’est malin cet animal, méfiant aussi.
    J’avais vu un jour sur internet, que le goeland est un des animaux le plus photographié en France 🙂 souvenirs de vacances certainement hi hi

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  20. Toute enfant je ne lisais pas, je regardais les images et cela me suffisait…. comme celles au dictionnaire de mes parents… car peu de lecture chez nous… tu as su te servir admirablement de celle-ci, amitiés, jill, bises

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  21. Bonjour Sabine,
    Merci de tes mots doux et ta gentillesse…
    Quelle belle histoire , mais plutôt un superbe poème ….. très, très beau !!!
    et puis tout cet environnement marin que j’adore….
    Félicitations ….
    toutes mes amitiés
    Grace

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  22. Bonsoir chère Sabine … je suis rentrée hier de Hollande … mais pour le récit de mes merveilleuses journées au pays des Tulipes, il faudra attendre un peu .. lol …
    j’ai adoré l’histoire d’Eole le Goeland … une histoire qui réconcilie l’homme et son environnement, une histoire que tu nous raconte avec émotion et sincérité et qui me touche profondément …
    gros bisous bonne nuit

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  23. Petit coucou pour te souhaiter une douce et belle soirée !
    A propos de lui, Monsieur le Coucou, il est arrivé. Je l’ai entendu chanter la semaine dernière.
    Gros bisous ensoleillés
    Alain

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