Une fable de mon amie Korielle (un fort joli blog) mettant en scène un renard, a fait resurgir en ma mémoire l’histoire d’un chien, dont la mère avait été croisée avec un renard … Il s’appelait « Voyou » !
Cette histoire a ce rien d’extraordinaire et de particulier qu’elle est « mon » histoire, et ce chien fut le chien d’une vie …la mienne !
Les mots ont mis infiniment de temps à se dénouer sur le papier, tellement ces faits sont tissés serrés dans les entrailles de ma chair et mes souvenirs …
Je vous les raconte ici avec des mots simples, déliant leurs pas fébriles sur les pierres du temps.
Il ne s’agit pas d’un conte comme j’ai souvent plaisir à vous offrir, bien que la silhouette et le visage des évènements pourraient largement y faire penser : c’est une simple histoire de vie !
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Chien d’une vie.
1ère partie
Je préparais alors mon B.P. A – Option Hippique, de « Palefrenier Soigneur Qualifié » à Yssingeaux, en Haute Loire, ce pays même qui deviendra mon « port d’attache » par la suite, avec tout ce que vous connaissez déjà de lui et que je vous ai livré au fil des pages.
Nous étions en pleine période de printemps, celle où les senteurs des prés vous attisent les sens et les papilles comme un bonbon à la menthe forte, et également en période de saillies. Des étalonniers du Haras d’Aurillac occupaient donc les locaux du club avec leur magnifiques chevaux de trait étalons ; l’occasion pour nous, élèves, de les contempler à loisir et même de pouvoir goûter à l’étrange et nouvelle sensation de les monter. Ce fut fort agréable, bien que très surprenant aux premières foulées, un peu comme au départ d’un parachute où, une fois lancé, il suffit de se laisser porter par le rythme et l’émotion !
Un jour, un des étalonniers vint voir quelques-uns d’entre nous, ceux et celles en qui il avait sûrement senti que son appel toucherait. Il avait en effet recueilli un drôle de chien, de très petite taille, zébré et à l’incroyable couleur « orange » !
On ne sait par quels curieux effets ce chien l’avait envoûté, mais il aurait été prêt au pire pour le sauver, jusqu’à se séparer de sa compagne qui refusait d’héberger cet animal …!
Et nous voilà, en pleine période d’examens, avec un chien sur les bras …
Mais la solidarité a bien sûr joué : Guittou le normand, un « paleux » (c’est ainsi que nous nous surnommions), le pris en cachette au lycée agricole et lui fit partager son lit pour une nuit. Puis, vint le tour d’une autre paleux qui, déjà, ne s’en sortait pas avec son jeune écervelé de Briard …
Et tout ce petit monde finit par atterrir chez moi, en catastrophe !
J’étais locataire d’une jolie maison , flairant bon l’herbe et le ruisseau, d’où je devrai partir, deux à trois mois plus tard, avec la détresse comme seul paquetage (mais cela fait partie d’une autre histoire !).
Nous avions déjà deux chiens, mon premier compagnon et moi-même, mais, sur un flot d’insistances on ne peut plus attendrissantes, je finis par accepter de le recueillir et, élan qui devenait inévitable avec ce chien, le garder !
Car, le côtoyer c’était ne plus pouvoir s’en défaire et devenir, en quelque sorte, comme aimanté à lui, à son regard et à tout ce qu’il pouvait représenter, il créait une approche inimaginable !
Pourquoi ? Parce qu’il était, d’une part, surnaturellement intelligent et, d’autre part, parce qu’à chaque tour d’horloge il fallait le sauver d’un danger imminent ! Il avait la véritable vocation du danger, j’en suis toujours intimement convaincue à l’instant où je vous écris.
Son départ dans la vie en témoignait : il venait de se sauver d’un élevage de Loulou de Poméranie. Comment, lui, avait-il pu arriver dans cet élevage et, surtout, comment avait-il trouvé le moyen de s’en échapper ?
Aussitôt après l’obtention de mon examen, je suis partie avec ma meilleure amie de stage « Betty », chez elle, dans son Pays Basque, avec l’espoir de pouvoir travailler en écuries de courses de Pur Sang. Betty avait été driver chez les trotteurs. Je n’emmenais pas grand chose, me trouvant dans une situation des plus précaires et désespérées, si ce n’est que cette adorable p’tite chose orange zébrée sur qui l’oeil devait veiller en permanence et que j’avais baptisé « Reggae ».
Il fit, à maintes reprises, l’attroupement général sur les quais de gare où nous nous arrêtions. Il réussit même à se faire offrir, et de plein gré, le contenu d’un sandwich appartenant à un voisin de compartiment (qui dût, par la force des choses, se contenter de deux tranches de pain sec pour son repas !).
Unique, ce chien était unique et somptueusement désarmant !!!
(Ah, je sens en vous l’envie de le connaître, au-delà des mots !
Or, j’ai eu beau chercher et m’entêter, durant des heures et des heures, je n’ai pas réussi à trouver la moindre photo de lui …)
Après avoir battu la campagne, je finis par trouver une écurie où exercer (dont je partirai aussi plus tard, abusée et déçue, exploitée jusqu’au cou !).
L’écurie en question se situait dans les Landes, près de Dax. Je quittais donc Betty, le coeur lourd, chargé à ras bord de tant de souvenirs forts, mais l’aventure m’attendait car, vouloir se lancer dans le métier de jockey, en était réellement une !
Et me voilà partie, l’âme naïve et la tête écumante de grands et beaux projets avec, comme seuls bagages sous le bras, une montagne d’énergie et un chien fantasque ; chien qui effraiera vite le propriétaire de l’écurie, se couchant sans la moindre méfiance entre les sabots des chevaux ou se plaçant juste derrière …
Jusqu’à là, il ne lui était jamais rien arrivé car il y avait toujours eu une main attentive pour le tirer d’un drame !
Je ne resterai que quelques mois au sein de cet univers déroutant, où tout n’est qu’argent et caprices en tous genres.
Entre mes heures de travail (une moyenne de 14 à 18 heures par jour), j’allais soigner en douce de jeunes chevaux laissés totalement à l’abandon pour la seule raison qu’ils ne donnaient plus les résultats espérés : certains d’entre eux se trouvaient dans des états à « faire vomir » !
J’étais heureuse de reprendre mon baluchon bien qu’à la fois perdue, car, suite à de graves incidents, nous n’avions plus de domicile, mon compagnon (qui deviendra le père de mes deux premiers enfants « Yoann et Gwen ») et moi.
J’atterris dans le grenier d’un hôtel restaurant, où il avait réussi à se faire héberger, le temps de mon escapade dans les Landes. Un lieu gravé dans ma mémoire ! L’Hôtel avait les pieds dans le Lignon, magnifique rivière où nous allions braconner la truite pour pouvoir manger. La route y passait aussi, serpentant entre bois et maisons isolées …
Reggae allait faire la connaissance de nos deux autres chiens : « Peggy », la chienne de mon compagnon, une épagneule au grand coeur alors âgée de 14 ans, subjuguée par la musique de Wagner qu’elle aimait à écouter religieusement, et « Païs », un cocker Spaniel, trouvé en plein coeur d’une pinède, dans le tout premier club hippique où je travaillais avant de passer mon B.P.A.
Païs avait un sacré caractère, très « chef de meute » et plus têtu qu’un régiment de mulets ! C’est le violon, lui, qui le rendait vulnérable et le faisait même pleurer !
Ces deux chiens-là étaient d’émouvants mélomanes !!!
Entre Païs et Reggae, des liens forts se scellèrent très vite, une ardente sympathie naquit dès les présentations ! Autant fous l’un que l’autre, il leur arrivait de s’échapper pour aller se rendre dans les bois, en face, traversant ainsi brutalement la route, jusqu’au jour où …..
Reggae resta sur le pavé !
Nous l’avions déjà sauvé mille fois de la mort, depuis mon retour des Landes. Je me souviens, entre autres, du nid d’insectes meurtriers où il avait voulu plonger la tête. Mais, cette fois-ci, c’était la bonne, personne ne put dévier le destin !
Païs resta à gémir près de son ami, au beau milieu de la route, comme pour couvrir et protéger sa dépouille des voitures qui passeraient …
On eut toutes les peines du monde à le défaire du corps de Reggae, ce spectacle était des plus déchirants !
Nous sommes allés enterrer Reggae dans le bois .
Dès cet instant, je ne pus me résoudre à vivre sans ce chien. Un besoin s’était installé dans mes viscères, me hantant jour et nuit, avec rage :
retrouver le même chien !
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2ème partie.
Dès le lendemain, je fis toutes les fermes du pays !
A l’époque, vivaient encore de nombreux troupeaux, avec leurs chiens de bergers.
Au bout de trois à quatre jours d’intenses recherches, on nous indiqua une maison, isolée dans le village de Queyrières…
C’est une maison bleue,
Que colore la lauze
Adossée à la montagne
On y vient à pied
On ne frappe pas
Les chiens ont jeté la clef !
Il n’y avait personne ce jour-là mais tout était ouvert, à notre grande surprise …
Un voisin nous avait dit : « Il ne ferme pas souvent, m’sieur Boucher, mais m’étonnerait que vous arriviez à rentrer ! »
Après avoir essayé quelques pas dans la cour, nous nous dîmes intérieurement : « Que nenni, ce voisin nous a fait peur pour rien ! »
Nous vîmes alors deux petites oreilles par-dessus un muret, puis deux autres par-dessus un ballot de paille, puis des tas et des tas d’autres, autant de petites choses ne dépassant pas la hauteur de trois pommes et ressemblant furieusement à des renards, surtout la mère, et envers lesquelles notre instinct nous commandait de ne pas faire un pas de plus !
Les aboiements qui fusaient de toutes parts alertèrent vite le maître des lieux.
Les brèves présentations n’étaient pas de mise dans ce pays (Brassens le savait bien !) et nous eûmes droit aux verres de « bonne piquette », déposés fièrement sur la vieille table en bois, entre poussière sentant bon le fumoir et, par-terre, les gamelles des bêtes.
Nous étions en plein coeur du Meygal. M’sieur Boucher était aussi petit que ses chiens et avait l’oeil aussi malicieux ! Il nous raconta toute l’histoire de ses protégés. L’atmosphère ressemblait étrangement à celle d’une veillée de Chabrol !
La mère de toute cette marmaille s’appelait « Sheila » et avait été croisée avec un renard, elle nous regardait avec un mélange de compassion et de méfiance. Le père présumé était un berger allemand répondant au nom tendrement burlesque de « Ringo » ! (leur rencontre était en quelque sorte prédestinée !).
Sheila venait de faire des chiots mais, la famille devenant trop nombreuse, notre « Père Boucher » en avait confiés à un voisin en contrebas.
Je ne mis pas longtemps à m’y rendre avec lui, j’avais le coeur mystérieusement battant ….
On nous conduisit dans une étable où deux adorables marmots dormaient dans la bouse ; le fermier avait cru bon les placer là pour les maintenir au chaud !
J’en choisis un, sans trop hésiter, il s’appellera « Voyou », en mémoire du chien d’un Cadre Noir qui m’initia aux chevaux et pour lequel je vouais une admiration sans borne.
J’étais tellement « ivre de joie » ce soir-là que je fis dormir Voyou dans mon lit, serré tout contre moi, après avoir tout juste pris la peine de débarrasser son poil gluant des particules de bouse qui voulurent bien tomber !
Les draps, le lendemain, dégagèrent comme une forte odeur de terroir, qui n’avait vraiment rien à voir avec celle, fraîche à souhait, du linge étendu sur l’herbe au printemps …
Je dus également le traiter en urgence et, dès le lendemain, contre les ascaris dont son intestin regorgeait !
Je n’ai trouvé qu’une photo de lui , ne le représentant pas au mieux, mais vous allez essayer !
Il avait du renard la taille, la forme du museau, les oreilles toujours bien dressées, les cinq griffes aux pattes-avant qui le faisaient escalader à une vitesse déconcertante les orgues surplombant notre maison, et, surtout, l’intelligence et l’instinct !

Pas un poulailler, même le plus hermétiquement fermé, n’échappait à son flair, il fallait d’ailleurs infiniment prêter attention. Il sentait les poules à mille lieux à la ronde !
Comme il sentait également toute personne qui, à notre égard, aurait pu nous être un tantinet hostile ; il avait alors une façon de soulever un coin de lèvre qui faisait reculer les plus intrépides ….
Du haut de ces quelques petits centimètres, il savait devenir terrifiant !!!
Tôt, le matin, il réveillait de sa voix perçante la montagne encore endormie, et tout nous revenait en écho vibrant, mêlé aux foulées lointaines des troupeaux.
La neige parfois en hiver avait une odeur de pomme …
De retour, il s’asseyait sur une chaise, toujours la même, devant la table de la cuisine en terre battue, et attendait qu’on lui serve son bol de lait.
Nous avions recueilli un jour une vieille jument borgne, que nous avions appelée « Cosette ». Je me souviens l’avoir vu grimper sur le muret de notre jardin pour lui lécher l’oeil malade : son coeur valait plus que de l’or !
Dès la naissance de mon fils (Yoann), il prit l’habitude de se coucher devant sa porte. Il faisait, bien sûr, partie de toutes nos longues virées à travers la campagne, accompagnant le grand landau à quatre roues hautes, de ces confortables landaux comme on en fait malheureusement plus.
Ne pouvant à la fois tenir la laisse du chien et maintenir la direction du landau, j’attachais Voyou sur un côté. Il marchait au rythme des roues, s’arrêtant en même temps que nous avant de traverser la route. Il donnait l’impression d’avoir été programmé pour cela, avec douceur, et exerçait tout avec calme et aisance : ce chien était hors norme !
Tous les fermiers des environs le convoitaient, devinant en lui, sans aucun doute, une intuition et des dons particuliers. Aussi, lorsqu’ils nous voyaient passer, ils me le demandaient pour leur troupeau. Je n’ai jamais accepté de le donner jusqu’au jour où …
je fus obligée !
Nous déménagions sur Alès, en Basses Cévennes, dans un H.L.M où je l’imaginais mal vivre et s’adapter, et puis il n’était pas chien à quitter son pays, sa terre !
Des trois chiens, nous n’avons gardé que Peguy. Païs est allé égayer les jours d’une mamie et, peut-être, l’initier au violon. Quant à Voyou, il a rejoint son fief natal, Queyrières, près de la forêt du Meygal, chez des fermiers qui avaient besoin d’un chien de troupeau supplémentaire.
Dans ces lieux de vie où l’on peut se demander si les maîtres avaient de quoi manger, on savait pertinemment qu’il y aurait toujours pour les chiens, on ne se posait même pas la question !
Les bonnes soupes remplissaient les pots, souvent faites avec du gras de viande, un peu de pain et d’autres « ingrédients maison » dont ils avaient le secret.
L’affection ne manquerait pas non plus, je ne me faisais aucun souci.
Et Voyou, de son côté, avait depuis longtemps tout compris, il avait tellement partagé notre misère !
Sur la route qui menait jusqu’à la ferme où j’allais le laisser, je m’en souviendrai toujours, il marchait à mes côtés d’un pas tranquille, tout en écoutant mes paroles maladroites lui disant que je ne pouvais faire autrement que de l’abandonner ici.
A un moment donné, il leva le regard vers moi, et je pus y lire avec une poignante émotion ceci « Ne t’en fais pas, je comprends ! » et …
je me tus, la gorge effroyablement nouée …!
Une bonne dizaine d’années plus tard, je revins sur les mêmes lieux, avec mon compagnon actuel et mes enfants, dont j’avais déjà bien immergé la tête de cette histoire …
Parvenus devant la ferme, un climat de silence, pour ne pas dire de « mort », nous saisit de pied en cap !
Les minutes nous parurent pesantes, interminables, jusqu’à ce qu’un des fils, jeune homme étonnement long et maigre, apparut. Après lui avoir exposé les motifs de notre venue, il nous conduisit sur le seuil de la porte d’où nous aperçûmes la mère, assise sur un large fauteuil. Sa santé semblait l’obliger à s’y tenir immobile. Nous ne la verrons que de dos, elle resta désespérement tournée vers la fenêtre, et nous n’entendrons de sa bouche, vidée de paroles, qu’un faible « bonjour » !
Cette image me glace encore de toutes parts aujourd’hui …
Je me souvenais d’une femme vigoureuse, et de ses deux belles joues rouges, toutes gonflées de vie, et si alerte en paroles ! Elle m’avait dit, en contemplant Voyou : « Lui, il dormira avec moi sur le lit ! »
Le fils nous expliqua qu’aussitôt le père mort, Voyou avait pris le chemin de la forêt du Meygal et …
personne ne l’avait jamais revu !
Nous remontâmes dans la voiture, à pas lents et recueillis, funestement effondrés par cette nouvelle …
Mes enfants et mon compagnon étaient aussi affligés que moi, comme s’ils avaient porté avec moi toute cette histoire, sur les épaules de leur coeur, et durant tout ce temps !
De la vitre, où défilait le paysage de ma mémoire, je revoyais son regard et dis tout à coup ceci : « Je connais enfin l’endroit où je veux que mes cendres soient éparpillées ….
dans ce versant de la forêt du Meygal ! »
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Je resterai quelques jours sans écrire, cette histoire m’a vidée !
Je vous laisse ainsi le temps de vous en imprégner à votre rythme et, peut-être, de…
l’aimer !