(photo prise à côté de ma table d’écriture)
Il était un petit papillon,
à la silhouette sobre et au regard toujours lointain…
A l’école des jardins,
alors que tous les papillons rivalisaient de parures toujours plus flambloyantes, lui
s’empressait de trouver un petit coin de muret, à l’écart des autres, à l’écart de tous ces battements d’ailes, futiles, qui lui fatigaient la vue et l’esprit.
Il aimait par-dessus tout fermer les yeux et se recueillir,
comme pour se rapprocher du ciel !
Dans son for intérieur, il se demandait parfois pourquoi son âme ne ressemblait pas à
celles de son espèce, et que le nectar des fleurs lui faisait peur par leur caractère si éphémère…
Peut-être était-il né pour observer la vie plutôt que d’en jouir, se répondait-il alors
doucement.
Un jour cependant qu’il sommeillait sur ses rêveries, une senteur tendrement sucrée
l’attira irrésistiblement vers une chaumière …
C’était une odeur de miel et il vit, au comble de sa joie, un joli mur paille où se
dessinaient en superbes ombres chinoises les rondeurs d’une treille. Il s’y installa …
Une petite fille y vivait avec son grand-père.
Il était apiculteur et avait savamment transmis son savoir à cette jeune
enfant…
Et si elle ne semblait encore rien connaître des papillons, l’univers des abeilles n’avait
déjà pour elle aucun secret !
Elle avait de longs cheveux d’or « Falbala », car elle répondait à cet incroyable prénom, des
cheveux fous où le soleil avait glissé de parts et d’autres ses longs doigts de peintre amoureux.
Chez elle, on fêtait avec passion chacune des saisons …
Aujourd’hui, on y célébrait l’automne et son grand-père avait cuit pour l’occasion un joli
pain d’épice, aux reflets d’or lui aussi …
Ce pain d’épice avait toutefois une particularité, il représentait… »la forme d’un coeur »
! Mais il en était souvent ainsi car, dès que ce grand-père était heureux, il aimait donner à son bonheur la forme d’un coeur !
Il déposa avec une touchante minutie quelques tranches rousses dans deux grandes assiettes
en grès émaillé, puis il alla tirer sur la corde du puits pour en soulever la « bouteille surprise », mise au frais dans un seau, un délicieux sirop de son cru fait avec des mûres et des
prunelles.
La journée se passa comme moulée dans un sucre d’orge !
Le soir venu, la lune jouait de son charme en papillonnant des cils pour obtenir du
grand-père une histoire à écouter ; le papillon qui lui ne savait « papillonner », se contenta de contempler la belle « Falbala », et sa bouche scintillante comme une cerise, s’entrouvrant avec grâce
au fur et à mesure que le grand-père parlait …
Il était entrain de lui raconter une étrange histoire , un « jeu dans les nuages »
!
Le lendemain matin Falbala alla, comme à son ordinaire quelque peu espiègle, se jeter sur
le lit de son grand-père …
Elle le trouva mystérieusement endormi, portant une expression qu’elle ne lui avait jamais
vue ! Elle le secoua gentiment en lui murmurant de sa voix de fée « Grand-père, grand-père « , mais il ne répondait pas et sa peau était aussi froide que l’eau du puits en hiver
!
Avait-il trop joué au « jeu des nuages » ?
A ce moment-là, le petit papillon aurait donné n’importe quoi pour devenir un « papillon
voyageur », pouvoir transporter un message à tire-d’aile et trouver un rapide secours. Il sentit deux larmes lui couler au long de ses joues, mais…Peut-on voir pleurer un papillon
?
De longues années s’en suivirent…
La maison était vide mais le petit papillon, toujours confiant, attendait
!
Il en vit des flocons de neige recouvrir la margelle du puits d’où fut tirée la « bouteille
des jours heureux », et il en entendit susurrer des mots doux de ce lieu devenu le rendez-vous amoureux des oiseaux…
Et, un beau matin, ambré comme l’automne, il entendit des pas faire chanter les feuilles
rouges de la grande allée. Il reconnut aussitôt les longs cheveux envoûtés par le soleil qui l’avaient, jadis, tant fait rêver …Ils étaient uniques, uniques au monde !
Falbala, longue dame aux cheveux d’ange et à la même bouche cerise, revenait à pas enjoués,
comme si rien ne s’était passé …
« Oh, falbala, et ton regard d’enfant n’a pas pris une seule ride ! Quant au triste velours
qui me pare, est-il devenu tout grisonnant …depuis le temps ? », songeait en silence le petit papillon.
Il aurait tant aimé lui donner ne serait-ce qu’un tout petit baiser mais, elle, dans un
geste naturellement inconscient, risquait peut-être de le chasser de sa joue, provoquant le geste fatal …quel dommage après tant d’années de patience et d’espérance !
Dès lors, il ne vécut plus que pour, de cette éblouissante sauvageonne, se faire remarquer
…
Il essaya de maintes façons, se posant sur le nacre blanc du vieux miroir à l’entrée, ou
partant danser avec le soleil sur son mur, mais …jamais elle ne le voyait !
Il avait toutefois repéré sa cachette. On y gravissait par une échelle de meunier. Un jour
il eut l’audace, cette audace presqu’amoureuse, de la suivre. Il glissa ses petits yeux polissons à travers le carreau poussiéreux et la vit installée à un bureau, cousu dans l’écorce d’un
châtaignier, face à un magnifique cheval en cire …d’abeille, bien entendu, ultime cadeau de son grand-père !
Un tantinet curieux (quand même !), il regarda ce qu’elle pouvait bien griffonner avec
autant d’ardeur et d’acharnement sur ces feuilles écrues à larges carreaux…
Elle écrivait, avec démesure elle écrivait, elle écrivait des histoires pour enfants…des
histoires d’abeilles, bien évidemment !
Alors, par un bel après-midi …d’automne, assurément, il se décida !
Il entreprit d’entrer dans ce paradis secret. Ressentant en son âme tout le pouvoir
merveilleux qui enveloppait ce cheval à la robe de miel, il se posa sur sa crinière et il attendit …
Dans cet endroit, où régnait une paix sans pareil, très vite il s’assoupit ! Le
frémissement d’un pas sur l’échelle, plus léger qu’une hirondelle, le sortit vite de sa torpeur feutrée. Elle était enfin là, il la sentait, la devinait …
Elle enleva d’un geste délicieusement fantasque son immense chapeau de paille qu’elle posa
avec négligence sur le fauteuil en osier, et s’installa à sa table d’écriture. Un vieux nounours chocolat la regardait, couvert d’une multitude de pansements en bouts d’étoffe
bariolée.
Et lui, si l’on peut imaginer un papillon dans « ses petits souliers », de toute sa plus
bouleversante émotion, il tremblait ! Il tremblait à en regretter presque d’avoir voulu un jour sortir de son cocon …
Il suivait avec fièvre ses yeux de poupée, qui se promenaient ça et là dans la pièce
mansardée où filtrait une lumière mordorée quand, tout à coup, son coeur eut bien la terrible impression de chavirer …Ces mêmes yeux s’étaient arrêtés sur sa muse préférée « le cheval aux crins
enchanteurs » !
Et, comme si une étoile filante venait de tomber sur son cahier, il vit son visage se
transcender et même …elle souriait ! Eperdument, la « Falbala de son coeur » lui souriait et le regardait …
Si, à cet instant, gravé dans la chair de son existence à tout jamais, il avait pu parler,
il lui aurait sûrement chuchoté le plus étourdissant des poèmes …
Elle se pencha vers lui comme si elle allait frôler une rose dont elle aurait craint de
faire tomber une seule pétale, et lui sourit, lui sourit encore et encore !
Il avait attendu ce nombre incalculable d’années pour aujourd’hui réchauffer ses ailes au
soleil de cet antre magique et y entendre s’envoler avec extase ces mots « Un coeur ! Grand-père, c’est donc toi ! »
Une larme perlait sur sa fine joue églantine …
Il eut tout d’abord infiniment de peine à imaginer ces mots …Ses ailes, à force de porter
toute la peine de cette histoire passée, au fil des ans, avait pris la forme d’un coeur, sans qu’il puisse un seul instant s’en apercevoir !
Et il se souvint soudainement du « jeu des nuages » et il comprit…
Le calendrier prononçait le 23 octobre d’une voix embrumée, jour où notre gentil grand-père
avait regagnait les cieux, comment pouvoir oublier ?
Et le petit papillon, ému jusqu’aux entrailles, se dit :« Moi, le papillon effacé et timide, que personne ne remarquait et qui ne cherchait qu’à vivre en retrait, j’étais
donc né pour devenir …un COEUR !
Et c’est sans doute pour cela qu’il avait dépassé surnaturellement sa pauvre espérance de
vie de papillon, car, on le sait bien …Un coeur n’a pas d’âge !
A partir de ce jour, il sut qu’il ne fallait jamais se sous-estimer, que chaque être sur
cette terre avait son rôle à jouer, et que rien finalement n’arrivait par hasard.
Il resta jusqu’à la fin de ses jours (si fin il y eut !) avec sa ravissante « croqueuse
d’abeilles », qui lui fit l’immense honneur d’écrire une histoire sur son espèce, qu’elle intitula
« Sur les ailes d’un coeur » :
Sabine.
A Yoann,
mon ange adoré.